Anom Darsana – Ingé son de la Suisse à Bali
5 janvier 2016Le binaural, ou l’écoute immersive par excellence
17 février 2016Voilà c’est fait, j’ai enfin eu l’occasion de participer à ma première Game Jam, la Global Game Jam, un évènement ayant eu lieu du 29 au 31 janvier 2016 dans le cadre original du Musée du Jeu de la Tour-de-Peilz en Suisse. Organisée par David Javet (narrative designer – Tchagata Games) et David Roulin (programmer – Silver Thorax), deux acteurs bien présents dans le milieu du jeu vidéo en Suisse Romande, cette édition réunissait environ 70 participants.
Qu’est-ce qu’une Game Jam ? C’est une rencontre (locale ou mondiale dans le cas présent) lors de laquelle diverses équipes ont 48h pour créer un jeu vidéo selon un thème donné en début de « compétition ».
Voici donc ma première expérience en tant que sound designer dans une Game Jam, racontée chronologiquement.
VENDREDI
16:30 – Installation
Prise de position sur les lieux. Je salue les 2-3 personnes que je connais et dépose mon matériel. Je suis venu avec mon Macbook Pro, un clavier Novation Remote 25SLMkII, mon casque Sennheiser HD-25-1 et mon enregistreur Sony PCM-D100. Un petit setup facilement transportable qui me permet de répondre à toutes les demandes que je pourrais rencontrer. Nous sommes 4 musiciens ou sound designers (ou les 2 à la fois). Cela n’est visiblement pas monnaie courante (les sound designers étant plus rares que les codeurs et graphistes dans le milieu) et cela suscite un peu d’intérêt au moment de l’installation du matériel. Certains se disent déjà intéressés par l’idée de pouvoir intégrer des sons à leur jeu.
17 :30 – Keynote
Rassemblement des gens et présentation du planning de la Game Jam, on y apprend quelques informations concernant le déroulement du week-end et surtout la révélation du thème que doit suivre le jeu. « Ritual » ! Les esprits s’échauffent, certains sourient en ayant leurs premières idées, d’autres moins inspirés soupirent. Quoiqu’il en soit la compétition est lancée ! 3…2…1… Créons !
18 :30 – Création équipe et brainstorming
Premier objectif, créer une équipe. Certains sont venus en team accompagnés de personnes avec qui ils ont l’habitude de travailler. D’autres, comme moi, viennent seuls et intègrent une équipe préexistante ou en créent une sur le moment. Ayant déjà eu l’occasion de travailler avec Fabrice Joly un graphiste sur l’un des contes de Plume & Pinceau pour lequel j’avais fait la version audio, je me joins à lui. Il est lui-même déjà accompagné d’un autre graphiste Kevin Crerelot. En deux temps, trois mouvements, nous réussissons encore à trouver un programmeur Elias Farhan qui n’avait pas encore de coéquipiers. Nous sommes quatre, l’équipe est formée !
Une fois tous réunis, nous commençons par le brainstorming. Quel type de jeu créer? Quelle technologie utiliser? Avec quel type d’univers graphique et sonore? Par chance nous nous entendons rapidement bien et trouvons des idées précises sur ce que nous voulons créer. Alors que d’autres semblent encore galérer, après (seulement) 2h de réflexion intense nous sommes prêts à nous mettre au travail.
En quelques mots, voici l’esprit du jeu. Une partie se joue à 2. Une première personne dirige un diablotin dont la mission est de récolter des objets qu’il ira déposer dans le chaudron d’une sorcière. Une fois tous les objets apportés, la sorcière se transforme en belle princesse et la partie est gagnée pour le diablotin (le « Rituel » est réussi). En face, se trouve un chasseur. Celui-ci doit empêcher le diablotin de déposer les objets dans le chaudron en lui tirant dessus. S’il l’atteint 4 fois il gagne la partie. Le principe est ultra simple mais diablement efficace. Le nom (décidé en toute fin), sera « The Witch, The Irish And The Imp ».
20 :30 – Au travail !
Une fois les tâches à effectuer listées par chacun, nous nous mettons à créer les premières ébauches d’images, de codes ou de sons. Les graphistes élaborent des croquis de l’univers du jeu (un jeu au plateau fixe en 2D) et des personnages (un chasseur, un diablotin et une sorcière). Le programmeur écrit les premiers codes sur des modèles existants pour tester la jouabilité, les déplacements des personnages ou l’effet des armes. Et pour ma part je commence par faire une sélection de tous les bruitages qui me serviront de base à la création des sons bien spécifiques du jeu. Ce processus de recherche, d’écoute et de classement me prend déjà quelques heures mais me permettra d’être opérationnel dès mon arrivée le lendemain. Parmi les sons que j’ai à produire il y a par exemple des coups de feu en forêt, des rebonds de munitions sur diverses surfaces (pierre, buisson et bouclier-champ de force de la sorcière), diverses morts pour le diablotin (téléportation ou explosion) ou le bruit du chaudron lorsque l’on y dépose des objets.
Voici une compilation de quelques sons que j’ai créé pour le jeu The Witch, The Irish And The Imp
Un élément bien particulier et difficile pour moi dans cette aventure est au départ le bruit. Entouré d’une vingtaine de personnes avec beaucoup de passage en permanence et des gens qui écoutent de la musique sur les haut-parleurs de leurs ordinateurs, il est par moments difficile pour moi de me concentrer suffisamment pour écouter mes sons. Habitué à créer dans l’espace confiné d’un studio ou dans mon bureau, il me faut donc un petit temps d’adaptation. Avec les heures je m’y suis finalement fait, et c’est même devenu un véritable défi que de travailler au sein de cette faune environnante. Avec le recul ce fut une excellente chose que de devoir évoluer au sein de ce bruit car je serai certainement amené à me retrouver dans des situations de travail similaires à l’avenir. Autant s’y habituer le plus vite possible !
23 :30 – Night Work
Cela fait déjà 5h de temps que l’on a commencé à travailler sur le projet. Mes coéquipiers profitent du dernier train pour rentrer chez eux. D’abord tenté à faire de même (après déjà une bonne semaine de boulot dans les pattes), je décide finalement de rester encore un peu. Je travaille plutôt bien le soir et suis généralement bien inspiré dans ces heures-là. Ayant plusieurs musiques à produire pour l’univers du jeu, je commence la composition du premier morceau. Selon le brainstorming, il me fallait créer une ambiance sombre, avec une musique assez oppressante évoluant en tempo suivant l’avancée dans le jeu, celle-ci devenant de plus en plus stressante lorsque l’un des joueurs approche de la mort. Je procède donc au choix des divers instruments, synthétiseurs et percussions que je désirais utiliser pour ma composition. Bien lancé, je me retrouve à créer les 80% du morceau le soir-même. Une bonne chose de faite!
2 :00 – Dodo
Gagné par la fatigue, je dépose les armes. N’habitant pas très loin du lieu où la Game Jam se déroulait, je rentre à pied jusque chez moi pour me reposer les oreilles, les yeux, me changer les idées et surtout reprendre des forces. Un peu d’air et de calme ça ne fait pas de mal.
SAMEDI
09 :30 – On s’y remet !
Après environ 5h de sommeil je retourne sur les lieux de la Jam. Il y a déjà pas mal de monde et visiblement certains n’ont même pas encore dormi. Mes coéquipiers sont déjà au travail. Bref mais chaleureux salut car on n’est pas là pour taper la causette, on a du boulot !
Je continue à fignoler la composition de la musique du jeu et de ses variantes. Je suis plutôt content du résultat et je la fais écouter à mes coéquipiers qui la valident tout en demandant quelques modifications simples. Heureusement car si j’avais du recommencer à zéro ça aurait été la galère vu l’échéance courte (H-28 environ).
Je me mets donc à la création des bruitages du jeu en partant sur la base de sons de ma librairie ainsi que d’échantillons sonores issus de diverses expérimentations personnelles. Le tout prend gentiment forme. On se concerte de temps à autres, on se montre ou on se fait écouter nos créations, tout avance bien sans souci majeur.
16 :30 – Coup de mou
Le cerveau fume. Être concentré pendant des heures sur un écran ça fatigue. Après une bonne pause pendant laquelle je prends l’air et refais le plein de victuailles je m’y remets ! Tout avance bien. J’ai beaucoup de plaisir à travailler avec mes coéquipiers. Ils sont organisés, ont d’excellentes idées, avancent bien et sont plutôt marrants.
Les premières bases de codes sont posées, on teste le jeu. Les parties sont courtes mais addictives. Nous avons rapidement pu nous en rendre compte puisque d’autres jammers passant près de notre installation font office de bêta-testeurs. Leurs réactions nous indiquent que notre projet tient la route.
22 :30 – Un 2ème projet
Une deuxième équipe me demande si j’ai un peu de temps à lui accorder pour faire quelques sons pour leur jeu nommé « Hellelujah ». Leur projet m’interpelle puisqu’il s’agit de créer des sons horrifiques : une seringue qui frappe lourdement un corps, une attaque de bébé volant démoniaque ou encore une cloche lointaine. J’acquiesce et décide de m’y mettre immédiatement. Ça me permet de mettre en pause l’autre projet jusqu’au lendemain et de prendre du recul dessus.
Voici une compilation de quelques sons que j’ai créé pour le jeu Hellelujah
0 :30 – Un 3ème projet
Une troisième équipe me demande si je peux également créer quelques sons pour leur jeu scifi « Human Matter ». Ici il s’agira de créer des bruitages de lasers, d’armures mécaniques, d’impact de balle ou encore d’alien tout nu qui se déplace (non vous ne rêvez pas, la preuve en image ci-dessous). Je m’y mets également immédiatement. J’avais déjà une bonne matière sonore de base, ayant déjà créé par le passé beaucoup de sons de ce type. J’en profite pour leur suggérer d’utiliser le célèbre cri de Wilhelm pour la mort de l’un des personnages (c.f. Article Ces bruitages que l’on retrouve partout).
Voici une compilation de quelques sons que j’ai créé pour le jeu Human Matter
C’est très excitant pour moi d’avoir l’occasion de toucher à plusieurs projets différents en si peu de temps. Habitué à devoir passer parfois du coq à l’âne dans mes activités de producteur radio (un domaine très réactif où il s’agit de devoir fournir des éléments sonores en quelques heures à peine), j’arrive à passer très rapidement d’un projet à un autre en permanence sans pour autant me retrouver complètement déboussolé.
Question bruit, dans ces heures-là c’est plus calme, ce qui rend ma tâche plus facile et me permet de mieux me concentrer sur l’écoute de mes sons. Un bruit sourd et régulier toutefois m’interpelle. Je me demande d’abord si cela provient de ce que j’écoute dans mon casque, ou d’une musique que quelqu’un écoute au loin. Je reste interloqué quelques secondes, avant de réaliser que c’est le ronflement d’une personne endormie à quelques mètres de moi, sur un matelas au sol. C’est bien la première fois que je crée avec quelqu’un qui ronfle à côté de moi et cela me fait sourire. Si l’environnement n’avait pas été aussi bruyant j’en aurai profité pour l’enregistrer, tant son ronflement était singulier!
2 :30 – Dodo
Mes yeux louchent sur l’écran, ma jauge d’énergie personnelle est à 5%. Direction mon lit. Game Over – Insert Coin
DIMANCHE
10 :00 – Dernier jour
Arrivée dans les lieux de la Jam. Je peaufine encore quelques sons de notre jeu mais l’essentiel est fait. On est tous largement dans les temps et tant mieux. Après encore quelques heures de travail, on procède aux ultimes phases de test pour voir si la jouabilité est bonne, si les sons sont bien placés et si les animations fonctionnent correctement.
L’équipe du jeu horrifique revient vers moi pour me demander si je peux leur faire quelques voix sataniques. Je m’exécute avec plaisir, tant l’idée d’incarner un personnage me plaît (la preuve en est dans le conte audio « Un Taxi à New York » de Plume & Pinceau pour lequel j’ai fait l’intégralité des voix des personnages). Je m’isole donc dans l’endroit le plus calme (soit entre la porte de la salle où tout le monde travaillait et les toilettes) et enregistre les voix sur mon enregistreur portable Sony PCM-D100. Pour faire une voix bien inquiétante, outre le fait d’avoir directement pris un ton approprié, j’utilise quelques astuces assez simples. Je baisse tout d’abord la tonalité de ma voix. J’y ajoute ensuite divers processeurs de voix, dont une reverb à l’envers pour donner cette impression bien “ectoplasmique”! L’acoustique de la pièce dans laquelle nous avons enregistré la voix n’étant pas optimale, l’utilisation d’un plugin permettant d’ôter la réverbération sur une voix m’est également d’une grande utilité ! Je me retrouve donc avec un résultat plutôt convaincant malgré les conditions d’enregistrement sommaires et le peu de temps que j’ai eu pour préparer tout ça. L’équipe de développeur est enchantée, mission accomplie. You Win ! Next stage.
Voici la voix enregistrée pour le jeu Hellelujah
15 :00 – We did it !
Le jeu est terminé, on l’upload sur le site de la Game Jam. On est officiellement en pause.
17 :00 – Speech final
Après un petit speech des organisateurs à la fin, on en profite pour faire le tour de chacun des projets. Chaque équipe présente son jeu et une partie est jouée en live pour montrer son déroulement. C’est intéressant de voir la grande diversité des jeux proposés. Chaque projet est graphiquement différent, chaque jeu a son univers bien particulier. J’ai été surpris par toute cette créativité. Le milieu du jeu vidéo en Suisse Romande a de l’avenir devant lui !
J’ai beaucoup aimé le respect de chacun pour le travail de l’autre. Même si les projets n’avaient pas pu être terminés, les deux organisateurs avaient toujours le mot juste pour souligner les qualités et les bonnes idées des jeux présentés. Ils ont vraiment fait un sans faute, bravo à eux !
En résumé, ce fut pour moi une expérience intense et très intéressante qui m’a non seulement permis d’aborder une autre façon de travailler, mais aussi d’en apprendre un peu plus sur le milieu du jeu vidéo. Bref, rendez-vous est pris pour l’année prochaine !
Si vous désirez découvrir notre jeu et l’essayer chez vous, voici sa page sur le site de la Global Game Jam.
Voici un lien vers les 3 variations de thème de la musique composée spécialement pour ce jeu
5 Comments
Bonjour Julien,
Ton article fut très intéressant et merci d’avoir partagé cette belle aventure!
À bientôt
holà 🙂
t’as utilisé quel daw pour bosser et/ou pour l’intégration ?
Le montage des bruitages a été fait avec Sony Vegas Pro, l’édition des sons (découpe des enregistrements, traitement final etc…) avec Sony Sound Forge Pro et la composition de la musique avec Ableton Live. Le tout avec évidemment pas mal de plugins en tout genre. L’intégration a été faite via Unity
Intéressant! Ca donne envie tout ça! Je découvre tjs ce genre de chose après que ce soit passé!
Comment tu fais pour être au courant de tout ces événements?? 😉
Eh bien le réseau! Un projet en menant à un autre j’ai rencontré des gens qui m’ont successivement permis d’intégrer le milieu du jeu vidéo en Suisse Romande. J’ai aussi assisté à certaines conférences sur le sujet. Et de fil en aiguille les gens te parlent donc des différents projets en cours ou des évènements qui vont avoir lieu. Il se trouve qu’ici en l’occurrence je connaissais l’organisateur de l’évènement.