Ces bruitages compliqués à réaliser
27 mars 2016Céline Monsarrat – Comédienne
8 juin 2016Lors de la création d’une œuvre cinématographique, il y a énormément de corps de métier qui interviennent. Réalisateur, caméraman, preneur de son, script, accessoiriste, comédien, etc…
Il est impossible de tous les citer tant la liste est longue. Il suffit de regarder un générique de fin de film en entier pour se rendre compte de la quantité de personnes qui travaillent sur une telle production. Et ceci d’autant plus s’il s’agit d’un blockbuster faisant appel à de nombreux décors, acteurs et effets spéciaux (audio ou vidéo).
Bien que beaucoup de ces métiers soient aussi intéressants les uns que les autres, venons-en au domaine qui nous intéresse tout particulièrement sur ce site: le son ! Celui-ci fait également intervenir un grand nombre de personnes (plus d’une dizaine) tant le processus est complexe , de la prise de son par le perchiste lors du tournage, en passant par le sound design, la composition musicale et le mixage final par les ingénieurs du son en post-production.
Que retrouve-t-on dans la bande sonore d’un film ?
Au-delà de tous les aspects techniques que l’on peut retrouver dans la création de la bande sonore, il y a toute la partie créative. La bande sonore est composée de plusieurs parties bien distinctes : la musique, composée par un compositeur, le sound design, créé par un sound designer et les bruitages, réalisés par un bruiteur (Foley artist en anglais, du nom de Jack Foley, l’inventeur du procédé). Il y a encore évidemment toute la partie dialogues, enregistrés lors du tournage, mais l’article sera focalisé sur la partie bruitage créée en post-production.
Il n’est pas compliqué d’imaginer la différence entre la musique et le reste de la bande sonore (ambiance, bruits, dialogues) tant cela semble évident. Mais qu’en est-il du sound design et des bruitages ? Ces deux aspects sont clairement complémentaires mais toutefois différents dans la façon de les créer. Quelle est donc la part de l’un et l’autre dans la conception de l’ambiance sonore d’un film ?
Sound designers et bruiteurs, « frères de sons »
Le sound design est majoritairement utilisé pour créer des sonorités irréelles, qui ne sont pas présentes dans notre monde : une arme futuriste, un vaisseau spatial ou un monstre, pour ne citer que ces exemples. Ces sons sont généralement créés à partir de bruitages existants et de synthèse sonore (un clavier de musique par exemple), mais sont souvent complètement détournés de leur origine. On n’aura aucune peine à imaginer qu’un film comme Star Wars par exemple, regorge de sound design (plus de détails sur le sujet dans mon article Les sons mythiques de Star Wars). Les films fantastiques et d’horreur sont également un excellent terrain de jeu pour des créations sonores tout à fait mystiques ou fantomatiques. D’autres informations plus approfondies sur le sujet dans le précédent sujet Le sound design au service de l’horreur.
La partie bruitage, elle, est réalisée par un bruiteur, pour soutenir une action et plus particulièrement un mouvement. Bien qu’il y ait un perchman s’occupant de la prise de son lors du tournage, il peut arriver qu’il soit impossible d’enregistrer certains bruitages ambiants. Prenez par exemple une scène où un grand ventilateur simule un ouragan. Il n’est pas difficile d’imaginer que celui-ci générera un brouhaha si intense, qu’il couvrira aussi bien le bruit des mouvements des acteurs que ceux des objets qu’ils manipulent. Les voix ne seront pas en reste, puisqu’elles devront être doublées en studio par la suite. De plus, la prise de son avec perchman lors du tournage est vraiment axée sur les voix, les bruitages sur le tournage ne sont donc généralement pas la priorité.
Les bruitages complémentaires sont ensuite réalisés lors de la phase de post-production, dans un studio de prise de son. Celui-ci possède un grand espace, pour permettre d’une part, au bruiteur d’avoir de la place pour évoluer, mais également pour pouvoir y entreposer tous les objets utilisés lors de l’enregistrement. Car ils sont nombreux ! Le bruiteur réalise en fait sorte le même travail qu’un acteur de doublage qui va refaire les répliques du comédien du film en version originale. Il va ainsi « doubler » les objets utilisés à l’écran et donner l’illusion qu’ils ont été enregistré lors du tournage. Pour ce faire, il va manipuler divers outils ou machines, en parfaite synchronisation avec ceux-ci, en jouant sur l’intensité en fonction des mouvements à l’écran. Parfois plusieurs prises superposées sont nécessaire lorsqu’il y a plusieurs choses à bruiter.
Ce que l’on entend n’est pas forcément ce que l’on voit
Les divers objets utilisés par le bruiteur n’ont parfois aucun rapport avec ceux qui sont réellement à l’image. Le but n’est pas ici de ressembler visuellement à l’objet, mais de sonner comme tel, voire même encore mieux! Il est ainsi fascinant de voir l’envers du décor et de réaliser que les sons que nous avons l’habitude dans les films sont d’une part un ajout sur la bande sonore d’origine, mais également parfois visuellement bien loin de ce que l’on pourrait imaginer !
Il est donc nécessaire aux bruiteurs de posséder de nombreux outils, machines ou bibelots en tous genres avec leurs sonorités propres pour pouvoir satisfaire à toutes les demandes. Bien que ceux-ci soient minutieusement rangés sur des étagères ou dans de petites boîtes, le studio se retrouve rapidement à devenir un joyeux bordel lorsque nombre d’entre eux sont utilisés en même temps.
Comme bien souvent dans ce métier, c’est quand le spectateur ne réalise même pas tout le processus qu’il y a derrière, et que l’on a l’impression que tous les bruitages proviennent de la prise de son lors du tournage, que le travail est bien fait. C’est parfois bien ingrat mais cela fait partie du métier.
Pourquoi reproduire des sons qui existent déjà ?
L’énorme avantage de « doubler » les objets, permet d’obtenir une bande sonore vierge de tout dialogue, contenant uniquement la musique, le sound design, les ambiances ajoutées en post-production (pluie, vent, ville, etc…) et les bruitages. L’intérêt réside ensuite dans le fait de pouvoir envoyer cette version neutre aux différents studios de doublage de part le monde qui n’auront plus qu’à ajouter les voix dans différentes langues par-dessus.
L’autre avantage est de pouvoir enregistrer des bruitages de qualité, dans l’espace confiné d’un studio, hors du bruit ambiant (vent, voitures, oiseaux, gens) qui pourrait venir polluer la prise de son en situation extérieure. De plus, certains objets ont besoin d’être exagérés d’un point de vue sonore pour rendre l’expérience audiovisuelle encore plus intense. Il n’est d’ailleurs pas rare d’ajouter des sons là où il n’y en a pas forcément. Ainsi, l’épée qui sort de son fourreau ne fera pas forcément « schwing » comme on pourrait le croire. Un pistolet manipulé ne fera pas non plus systématiquement de bruit alors que dans un film, on retrouvera toujours un bruitage pour illustrer le mouvement.
Il y a donc quantité de sons qui pourraient être pris sur le terrain, mais auxquels on préfèrera substituer un bruitage enregistré en studio. C’est notamment le cas des bruits de pas qui sont généralement créés en post-production. Les bruiteurs possèdent ainsi de nombreuses paires de chaussures avec tout types de semelles (sur plusieurs types de surfaces tel que bois, béton, moquette, gravier) pour pouvoir répondre à tous les besoins. Il est assez comique de voir un bruiteur de sexe masculin à 4 pattes avec une chaussure à talon dans chaque main simuler la démarche d’une femme.
Quelques exemples
Tout le monde connaît l’usage de demi noix de coco pour simuler les sabots d’un cheval mais je vous propose de découvrir ici quelques exemples parmi les nombreux subterfuges utilisés pour créer des sons en studio.
Tonnerre
Les grands coups de tonnerre que l’on pouvait entendre dans nombre de vieux films et dessins animé aux scènes lugubres style Scooby Doo étaient réalisés à l’aide de grandes feuilles de métal frappées et secouées.
Pas dans la neige
C’est à l’aide d’un paquet de poudre de maïs sur lequel les doigts sont appuyés en alternance que l’on peut créer un bruitage de pas dans la neige très convaincant.
Pas dans les hautes herbes/buissons
Marcher sur des bandes de cassettes audio déposées pêle-mêle sur le sol produit le son idéal pour simuler une marche dans un champs de hautes herbes.
La corde tendue
L‘usage d’un manche à balais que l’on tiendra fermement avec une main et sur lequel on frottera la seconde main légèrement humidifiée (tout en faisant tourner le manche) donnera l’impression d’entendre craquer une grosse corde de bateau.
Vent
Bien que le bruit du vent est souvent issus d’ambiances enregistrées sur le terrain, il a été créé différemment par le passé, lorsque les techniques d’enregistrement en extérieur n’étaient pas encore aussi évoluées que maintenant. Ainsi, le vent était simulé à l’aide du frottement d’une toile enroulée autour de 2 poulies. Une manivelle permettait ensuite de faire tourner le système à la vitesse désirée, tantôt lentement pour obtenir un bruit grave, tantôt rapidement pour obtenir une bourrasque sifflante des hautes montagnes.
Pluie
Comme pour le vent, une machine a été construite pour donner l’illusion que le ciel déverse ses larmes. Il s’agit ici d’une grande roue creuse, agrémentée de petits pics en son intérieur. On y place des petites boules de bois qui viennent frapper les pics en continu lorsque la roue est tournée à l’aide d’une manivelle.
Feu
Les emballages à bulle (que tout le monde adore exploser avec les doigts) permettent de créer le son du bois qui craque lorsque il se consume. L’usage d’emballage en papier permet aussi de créer un bruit qui s’en approche.
Les bruitages de combats
Pour tous les bruitages de combats (coups, membres cassés ou arrachés), je vous recommande de consulter mon précédent article à ce sujet Les bruitages des films de combats.
Il existe bien-sûr autant d’exemple à citer que de bruitages, mais quoi de mieux que l’exemple par l’image ? La vidéo suivante vous permettra de voir l’envers du décor en studio, avec Gary Hecker, bruiteur vétéran en pleine action.
Pour finir, retour en enfance avec les dessous des bruitages des dessins animés Disney présenté sur le plateau du Letterman Show.